Dieu s'en fout - Camel&On

Dieu s'en fout...chanson par laquelle tout commença ! :)

 

 


Couleur Camel&On
 
C'est un duo come on en entend peu, fort en gueule et en musique : Camel&On, à entendre cette semaine au théâtre du Grand Rond.
 

S'il y a un plaisir certain à aller dans de "petits lieux" sur de "petits spectacles", tels ceux que propose le théâtre du Grand Rond à l'heure du "petit" blanc (il n'y a pas que le Grand Rond, mais il est le plus régulier dans l'exercice), c'est bien celui de la surprise. Rarement mauvaise, elle tient souvent de la belle découverte, quand ce n'est pas du pur bonheur - la seule difficulté étant de retrouver ensuite ces formations qu'on goûta tant, mais si discrètes, trop discrètes. Connaissez-vous ainsi Camel&On, duo à textes venu de Cugnaux et chantant cugnalais, puisque la plupart desdits textes sont d'un poète local, Roger Camel ? Non ? Eh bien, il est temps de foncer au Grand Rond combler cette lacune.

Un duo, donc, formé en 2002 après la découverte par Bruno Bordignon des textes de Roger Camel à la bibliothèque de Cugaux, où la veuve du poète les a déposés. Bruno gratouille la six-cordes dans divers groupuscules et, séduit par ces vers quelque peu anarcho-poético-gueulards, en met aussitôt quelques-uns en musique, bientôt rejoint dans l'entreprise par Thomas Portier, guitareux lui-même et bassiste à l'occasion. D'autres auteurs suivent, confirmant la vocation du tandem à se faire le porte-voix de la parole d'autrui. Avec modestie, comme l'indique leur nom : Camel, le premier poète ; et On, les autres - point de place pour les musiciens dans tout ça. L'humilité est belle, mais elle ne leur rend pas justice.

C'est que leur style musical ne ressemble à aucun autre, même s'il évoque pas mal de références du meilleur aloi. Sans grande surprise, on y trouve une bonne louche de swing, et plus précisément de ce swing manouche qui va si bien au coup de gueule comme au coup de coeur, à la dérision mordante. Un petit fond d'esprit blues-rock, de ci de là. Et puis de ces échos si peu définissables mais qui vous font monter à tout coup l'expression "chanson française" à l'esprit.

On y trouve surtout la patte étonnante de Thomas, arrangeur maison, dont les arpèges clairs, nets et tintinnabulants à la guitare font beaucoup pour le style du duo, quand bien même Bruno en est le principal compositeur. Mais c'est à la basse qu'il donne son étonnante mesure avec une technique de jeu au mieux rare, au pire franchement iconoclaste, toujours inspirée : non pas bêtement rythmique mais résolument mélodique, pratiquant volontiers un travail délicat d'arpèges sur accords et, de façon générale, se servant de sa basse comme d'une guitare classique aux résonances inattendues. Les amateurs apprécieront.

Bruno, lui, impose sa voix et une manière éclectique de chanter. Il a la goualante forte, Bruno, et la mezza voce à peine froissée, juste ce qu'il faut pour les mots qu'il porte. Il a, aussi, un sans-y-toucher, une façon d'évoquer quelques grands anciens qui vaut le détour. Ainsi se cogne-t-on à Brel, le colérique de trop d'amour et de refus, celui de Ces gens-là, avec Les buveurs de lune ; à Ferré pas mal de fois, à Brassens à Dimey à Renaud un peu et même... à Gilbert Bécaud - "ouaaiiis" - sur Les pacifistes. Encore qu'on puisse douter qu'il accepte la référence...

Et des textes. Mélancoliques, atrabilaires, tout emplis de ce cynisme qui n'est qu'idéalisme déçu, mais obstiné à survivre. Des textes humains - et humanistes, anarcho-pacifistes, d'autant plus féroces qu'ils appliquent volontiers un "qui aime bien châtie bien" de haute volée. "Pour tout ce qui est contre, contre tout ce qui est pour", comme disait Pierre Dac, et partant élevés contre les exemples trop constants de notre très humaine connerie.

Ils ne chantent gère l'amour et ses vicissitudes, ce qui change agréablement, ou alors par hasard et par la bande. Ils chantent plutôt Les Hommes - "leur talent est un si grand désastre" - et les compagnons d'une vie, les Buveurs de lune qui "vous dégueulent encore de vieux blues qui ont pris du gras". Ils clament haut et fort combien Dieu s'en fout, proclament leur athéisme militant et l'absence d'essence divine chez le chien et son maître ; ils rappellent à l'envi des souvenirs d'ancien combattant de la paix, fustigent la mollesse de nos temps si soumis, proposent d'échanger les fusils contre les livres, ces "beaux jardins où l'on apprend à vivre et non à mourir bêtement."

Et tout cela avec des hoquets et des coups de glotte, des trébuchements, des douceurs et des hargnes, un allant de chanson de mer (Oran Tanger Séville), une conviction qui emportent l'adhésion.

Après un temps, car le style et son engagement déroutent. Mais avec un bel entrain une fois l'ambiance posée, dans un énorme fracas de battements de mains et le balancement d'un refrain sans paroles repris en choeur par la salle entière, du fan au découvreur.

"Et de vous, le savez-vous ? Dieu s'en fout." Mais pas Camel&On...

Jacques Olivier BADIA - Le clou dans la planche

 

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