Abolition, prohibition... Pourquoi veut-on la peau des putes ?

Vraiment un chouette article de Peggy Sastre chopé via le flux RSS des + du Nouvel Obs.

Je le relaie sur mon blog parce que tout y est dit, parce qu'on y parle liberté des femmes, parce que c'est limpide à lire et sucré entre les lignes comme une chupa chups avec sujet verbe et complément, parce que toutes ces histoires de changements de moeurs dont on veut réduire l'importance (prostitution, cannabis, consommation perso de drogues plus dures, etc...) sont au contraire des signes que je trouve hyper importants, des signes d'évolution de nos libertés tout simplement et tout concrètement ... et parce que paroles de femmes qui font la nique aux féministes-moralistes anti-sexe avant d'être anti-sexisme !


Elles sont forcément victimes. Réduites à l'esclavage. Victimes de la traite. Elles n'ont pas choisi. Elles ne savent pas ce qu'elles font. Elles sont dans le déni. Droguées. Et si le législateur tentait en fait de réprimer une liberté qui dérange ?

> Par Peggy Sastre

 

Une petite histoire pas vraiment attestée veut qu'à la fin du XIXème siècle, le sculpteur Auguste Bartholdi ait retourné tout Paris pour trouver un modèle "avec un beau profil et un buste avantageux" jusqu'à ce qu'une dénommée Céline lui tape dans l’œil. Cette dernière, il l'aurait rencontrée au 106 (un bordel réputé sur l'avenue de Suffren, à Paris), grâce aux conseils d'une maquerelle qui avait saisi sur-le-champ les désirs de l'artiste.

 

Quelques années plus tard, Céline offrait son visage et ses formes à ce qui allait devenir l'une des statues les plus célèbres du monde, la Liberté éclairant le monde, plus connue sous le nom de Statue de la Liberté.

 

Statue de la Liberté / Flickr cc http://www.flickr.com/photos/wallyg/

Statue de la Liberté / Flickr cc wallyg 

 

Désacraliser la sexualité

 

En tombant sur cette anecdote dans le dernier beau livre de Nicole Canet, "Décors de bordels", je me suis souvenue de l'époque pas si lointaine où, pour moi aussi, la prostitution était fondamentalement liée à l'idée de liberté.

 

J'étais alors à l'école primaire et quand mes petits camarades me demandaient ce que je voulais faire plus tard, je répondais cantatrice (j'étais allée voir Carmen et je m'exerçais depuis à quelques vocalises dans ma baignoire) ou pute, parce que cela me semblait un métier agréable où le chômage n'existait quasiment pas. Une petite entreprise sans crise ni patron, bref, la planque idéale, l'expression parfaite de l'émancipation féminine et l'une des rares choses qui ne me faisait pas regretter d'être née du côté XX de la barrière.

 

Arrivée à l'âge où l'on quitte les rêves pour se prendre la réalité en pleine gueule, j'ai un peu révisé mon jugement. Pas sur la prostitution, mais sur toutes les modifications sociales et culturelles qui étaient nécessaires pour que cette pratique devienne, réellement et globalement, un métier comme un autre.

 

Il fallait d'abord qu'on cesse de voir le sexe comme un phénomène exceptionnel et exceptionnellement gravissime pour les personnes qui s'en servent, à commencer par les femmes, évidemment, sans doute câblées pour souder leur sexualité à plein de choses terriblement implicantes.

 

Qu'on le considère comme quelque-chose d'aussi banal que la faim, la soif, ou le besoin de se vêtir, en sachant que les fast-food, les chefs étoilés, les sodas mangez-bougez, les grands crus, les friperies et la haute-couture coexistent à peu près pacifiquement.

 

Que tout un chacun puisse ouvertement vivre ses désirs comme il l'entend, sans hypocrisie, ni mauvaise conscience et surtout sans avoir à subir les regards réprobateurs ou les coups de matraque d'autrui.

 

Indigeste morale et négation du choix

 

Si la tâche était imposante, elle ne me semblait pas pour autant extraordinairement ardue. Avec un peu d'éducation, deux trois moyens et surtout l'absence totale d'une quelconque hégémonie gouvernementale sur ces questions-là, il suffisait de laisser le "progrès" suivre son cours pendant quelques générations – un "progrès" qui, je le rappelle au cas où, ne procède d'aucune volonté divine ou autre destin cosmique, mais résulte de conditions matérielles, sociales et culturelles que nous sommes seuls à pouvoir créer pour nous-mêmes.

 

Si j'en crois le barouf actuel, en revanche, on ne touche même pas le début du commencement du démarrage d'un infime déblocage sur ce sujet. Aujourd'hui, la prostitution est une violence faite aux femmes, cela semble acquis, et les rares qui prétendent (certainement sous l'empire de quelconques substances illicites) vivre librement de leurs culs sont comparés aux individus qui, pendant les heures les plus sombres de notre histoire, prétendaient aimer vivre en cage dans des zoos humains et autres foires de l'étrangeté ethnique. Au mieux, d'ailleurs. Car au pire ce sont...non, vous ne voulez pas le savoir, c'est vraiment trop affreux.

 

Le but est donc, une bonne fois pour toutes, de leur faire rentrer dans le crâne, si besoin à coup de marteau (humaniste, cela va sans dire) que de demander de l'argent contre des faveurs sexuelles = pas possible. Il faut abolir la prostitution qu'ils disent, et ils se drapent dans ce terme comme d'autres se hissent sur les épaules des géants responsables de la fin de la peine de mort ou de l'esclavage.

 

Avec toujours l'éternelle rengaine de ceux qui ne choisissent pas vraiment ce qu'ils choisissent et qui ne veulent pas vraiment ce qu'ils veulent, le refrain des contraintes même pas bien cachées, avec un soupçon de "bon sens" et d' "évidence" pour couronner le gâteau d'une grosse cerise à la morale indigeste.

 

Libres d'être des putes... Bientôt

 

Alors je pourrais encore m’époumoner que non, la prostitution n'est pas obligatoirement une servitude, même dans les contextes a priori les plus sordides, que resserrer encore davantage l'appareil répressif qui l'entoure n'arrangera pas, mais vraiment pas le sort des personnes les plus faibles qui la pratiquent, ou encore que quitte à s'amuser à compter le nombre de violées qui grossissent leurs rangs, faites-en de même dans n'importe quelle population et commencez par les féministes, tiens, quelle bonne idée ; je pourrais aussi demander à tous ces abolitionnistes s'ils comptent aller faire le ménage des volontés viciées chez les militaires, les pompiers, les policiers, les gardes du corps et tous ces secteurs où plus on donne de sa personne, plus on est récompensé... Mais j'ai comme l'impression que tout cela tombera dans l'oreille d'un sourd.

 

Alors j'opterais pour la voie de l'optimisme. Après tout, peut-être que si tout le monde, à commencer par un législateur nécrosé, s'excite sur la prohibition de la prostitution, c'est que nous n'avons jamais été aussi près des conditions dont je parlais plus haut.

 

Qu'au final, les putes n'ont jamais autant pu travailler comme elles le souhaitaient, à l'abri des réseaux et des systèmes mafieux pourtant si fréquemment brandis comme des épouvantails à la faveur d'un quelconque fait divers scabreux. Peut-être, alors, faut-il se dire que cette liberté qui inspira un sculpteur et peupla mes rêves de petite fille n'a jamais été si proche de sa réalisation.

 

Et que c'est certainement ce mouvement que le législateur cherche à mater, dissimulant aujourd'hui ses pires tendances autoritaires sous de beaux atours charitables et bienfaisants.

 

En même temps, ça ne serait pas son coup d'essai.

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