Notes d'hiver

Novembre.

Me voici à nouveau inactif comme m'appellent les statisticiens. Après 3 ans d'intérim et 2 ans de contrats dits "aidés", je change de couleur de camembert, de hauteur de colonne, de pourcentage de courbe et de catégorie chez Pôle emploi. Douce liberté d'être chômeur de première catégorie, liberté d'être et de faire, totalement retrouvée. Quel plaisir de passer ses propres vitesses, de pousser les rapports, de rétrograder, de sentir l'envie et la passion sous son pied.

Philosophie de capot. Mécanique de vie. Ha mais moi je ne pourrai pas, je m'ennuierai rhalala !. Éternelle ritournelle, mécanique. Je m'en désole un peu à chaque fois, grippés qu'ils sont dans leur voiture automatique du quotidien, au point de ne plus pouvoir auto-gérer leur propre vie au delà des 2 jours hebdomadaires de fins de semaines, qu'ils passeront de toute façon à courir.

Puisqu'il est question de moteur à explosion...j'ai à nouveau senti les chevaux monter en moi. Ça a commencé à rugir et, une fois n'est pas coutume, j'ai quelques fois réussi à canaliser tout cela par une certaine force tranquille que m'apporte la méditation. Voici ce que j'écrivais à ce moment là, fin novembre :  

Ce sont des courants d'airs qui filent dans ma boite crânienne et que je ne sais pas toujours maitriser. Ma tête ouverte aux 4 vents me souffle des urgences d'envies, de projets et d'idées tellement bien vues. C'est comme un torrent après une pluie d'été indien, mon épisode cévenol neuronal, ça déborde, une crue qui gonfle jusque très tard dans les soirées. C'est doux, c'est très excitant, mais je sais aussi à quel point cela peut être terriblement stérile et cruellement insatisfaisant. Je me noierai d'ici peu dans le torrent, ou plus tard quand le fleuve, quand le lac. C'est comme un sursis. Je sais que cela me prépare aux givres de l'hiver. Mort de froid d'ici peu, ou plus tard quand les bourgeons. Alors les soirs ça gribouille dans ma tête. Les minutes rouges sang sur fond noir du réveil et de la nuit affamée défilent. Le décompte de la nuit me consume au fur et à mesure, sorte d'autophagie irrémédiable.

* * *

Décembre.

Les fêtes sont passées...les restes de chapon ont à peine eu le temps de se figer dans leur graisse au réfrigérateur que je me suis réveillé d'une nuit de frissons, avec une ruche sous le capot. Du feu dans la trachée, du virus dans mes volutes. Fragilité pulmonaire oblige, restes d'enfance asthmatique qu'on étouffe, le feu qui m'étouffe ne peut se gérer chez moi que par une bonne dose d'anti-inflammatoire, avec tout ce que cela suppose dans mon cas. A 100 mg-jour, ce pompier là, chez un bipo c'est un peu comme vouloir éteindre un feu d'un côté avant d'aller pisser de l'alcool à brûler sur les braises d'un autre. Un chien énervé dans un jeu de quille sans fin. Excitation (la mauvaise), troubles du sommeil, confusion spatio-temporelle. Le corps est à bout alors que l'esprit boue, entre 2 pics de fièvre. Dormir habillé par tranches de 15 mn, se réveiller au salon en pleine nuit en marchant sans savoir ce qu'on fout là, sensations semi-éveillée de fin de monde, délires à voix haute, ne pouvoir manger que de l'eau, être pris de vertige au moindre effort et sentir la ruche fomenter un nouveau coup d'état. Tourner, d'un mur à l'autre, de pièce en pièce, jouer des interrupteurs à s'en griser les yeux, et ne plus reconnaitre le type tout blanc dans le miroir. L’angoisse du vibrion. Arrière goût de cet été déjà ancien. Eté incontrôlé fait d'angoisses et de folie qui s'invite et s'installe. Au creux des oreillers imbibés de sueurs froides, tout est remit en question. En position verticale le corps s'accroche aux murs mais l'esprit, lui, va dans tous les sens, sans aucune gradation dans les pensées. La boucle ne prend jamais fin, refaire le match à défaut de refaire surface. Un rapport de force avec tout ce qui passe en tête, amis, familles, passé, derniers moments sociétals civilisés analysés 1000 fois, revus, corrigés, et mis sur le même plan qu'un détail de 10 ans d'âge qui vous revient en tête comme une poubelle qu'on a oublié de sortir ou que la mort, ...tout ça cohabitant avec les idées les plus folles. Mais qui tuera le chien ? 5 jours dans le tambour d'une machine à laver seul dans cette grande maison. C'est un peu comme si l'eau bouillante mélangée à de l'eau froide donnait subitement des glaçons tranchants à la place d'une eau tiède apaisante que l'on est en droit d'attendre. Glaçons de ruminements permanents qui poussent le corps à bout. Et l'épuisement qui vous a oublié. Je ne sors jamais totalement indemne de ces moments d'incendies. Je choisis de coucher tout ça sur une nouvelle page html, les yeux brûlants, entouré de la lueur bleue-froide de l'écran qui inonde mon lit, seul rempart contre une nouvelle nuit prête à me dévorer.

Bipo ? oui, j'aime bien. Ou plutôt, j'aime mieux. Après l'ours (bi)polaire tapi au fond de sa grotte, place à la fausse tranquillité de l'Hippopotame, maître zen aux petites oreilles qui trône dans les fleuves, toujours à l'affût, observant le monde de son œil suspendu à la ligne de flottaison. Massif, imposant mais dont les yeux cillés traduisent une certaine délicatesse, une fragilité.

 

 

* * *

 

Janvier

Belle Laure à la peau cuivrée, aux grands yeux rieurs mais qui planquaient des piscines de larmes depuis tellement d'années. Je n'aurais jamais crû. Malgré le RDV fixé, elle n'a jamais passé les portes du hall des arrivées de l'aéroport Toulouse-Blagnac, elle n'est pas d'avantage partie surfer au Maroc comme elle m'expliquait quelques jours avant. Laure est juste partie un matin pâle d'hiver breton, le temps d'un nœud coulant face à l'océan, nous laissant sa vieille planche de surf et ses combis trouées, sa guitare, ses carnets tourmentés, et puis  les questions et les culpabilités.

Mais le courage n'en parlons surtout pas !!! Ce courage de choisir sa vie jusque dans la mise en scène d'un dernier voyage, elle qui parcourait les jobs, les régions, les pays, les expériences, comme des fuites de fuite en avant, ce fût sa dernière. Pour une fois, elle s'est occupée d'elle (chose qu'elle appelle égoïsme dans sa lettre). Elle qui il y à peine un mois prenait encore soin des autres, de ses malades. On s'accorde à trouver très  courageux ces agonisants qui entrent en soins palliatifs pour y mourir comme ils le souhaitent, dans des phases terminales qui n'en finissent plus de se terminer. Mais mourrez seul à votre guise quand la souffrance psychique vous serre tout entier comme un étau et on cri au gâchis, on hurle à la lune, moi le premier. La différence pourtant je la connais plus qu'il n'en faudrait...d'un côté une souffrance  visible en forme de tumeur qui prend ses aises, de sang empoisonné qui tire les rideaux jour après jour, d’hémorragie sur un bord de nationale ou une table d'opération. Et d'un autre côté, la souffrance de la maladie qui ne se voit pas, qui avance incognito au regard des autres qui ne comprennent rien pour la plupart. Ni radios ni ratios à montrer, pas d'analyses de labos ni de prélèvements. Juste un réglage foireux mais non-mesurable de la chimie de la carte-mère.

Le geste de Laure est comme un tsunami que personne n'a bien compris et encore moins réalisé un mois passé. Personne pour prendre la vague avec toi et tailler cette foutue corde à temps pour t'empêcher de couler dans les cobalts, les abysses...

Quand la souffrance est telle, une fois la décision prise et la force trouvée, tout se fait paraît-il dans le soulagement d'une fin de cauchemar éveillé. On ne pourra être mieux qu'ailleurs, alors on ne pleure plus, on agit, presque pressé. Ça se passe comme ça et je m'y accroche. A ce laps de temps durant lequel tu as tout mit en ordre chez toi et a dû te sentir tellement légère et soulagée, enfin. Nous qui restons là, nous nous accrocherons désormais à ton rire entouré des magnets du frigo, histoire de se croiser encore un petit peu...

 

Novembre 2017

 

J'ai toujours cette image d'une arrivée dans un improbable au-delà qui prend la forme d'une immense plage bordée de dunes. Une plage plongée dans la brume, les embruns et quelques brouillards de chaleurs des aurores de l'été. Se dessinent alors quelques silhouettes méconnaissables d'un groupe qui se promène au loin. Tu plisses les yeux pour essayer de comprendre quelles promesses te réserve le brouillard, en essayant de rassembler tes derniers souvenirs du monde des vivants qui t'échappe déjà. Les silhouettes s'approchent lentement en riant, certains plus pressés que d'autres, pour terminer tous autour de moi dans de joyeuses retrouvailles. Puis autour d'un vin jaune et d'un feu de camp, refaire l'histoire, donner des nouvelles et se raconter jusqu'au matin.

Ce matin là d'août 2017 sur une plage du Portugal, 6h du mat, ils étaient là...dans la brume au loin. Ils étaient là mais le brouillard était trop dense pour lever un quelconque mystère. Il m'enveloppait de ses fines gouttes de vies, et c'était tant mieux.

 

 

Tu parles qu'on apprend la vie en croisant trop souvent la mort ! En les voyant partir, un à un. Un mort qu'on enterre en déterre 3 autres. Mais les deuils ont ce mérite de replacer les choses, de se recentrer, de faire le tri et ce dernier tout particulièrement...Nos faiblesses je les brandirais pour 2 comme un étendard Laure !

Mes textos restent sans réponses désormais...pas de 4G au paradis, zone...blanche. Pute de vie !

 

* * *

Février.

Avec les autres j'ai cette sensation qu'il ne sort de ma bouche que de la boue et des vers de vase tordus d'agonie. "En société" je ne sais plus me taire et je m'exprime de plus en plus sans plus aucun filtre. Dans l'heure qui suit la honte m'envahit. Honte de ce que j'ai dis, de ce que je suis, et de ne pas arriver à tenir mes promesses de sage silence.

Sensation nauséeuse de m'être donné en spectacle sans gêne, sans entraves, sans amour. Je ne sais plus aimer. La honte m'envahit de ne pas arriver à tenir cette langue fourchue de ressentiments et de bile, de rancœurs et de haine. Je suis couvert de ridicule, à poil devant les miens et le monde, incontrôlable. Puis inconsolable. Tout le monde se tait, la peur au ventre que j'explose en plein vol ? Silences compatissants d'amis, de familles, de collègues, de tout ceux que j' épuisent. Alors je marche seul dans les forêts et les bois, le nez en l'air et une barre d'angoisse qui me rature le bide. Contracture devenue familière qui me ceinture le souffle mais finit par lâcher sa proie durant ces quelques pas, que je ne partage pas.

Le vent ne souffle plus pour rallumer les braises. J'ai la sensation que je m'éteins peu à peu, au fur et à mesure que les troupes quittent le cercle de l'âtre. Seul, contraint au silence, je balance mes nippes dans les restes de braises pour fuir dans les vagues de minuit. La ligne d'eau vacille, l'iode me pique les narines, mais la mer me ravive. Toujours. Oui. Depuis quelques mois, de nouvelles rencontres, simples et bienveillantes se sont offertes à moi. C'est tout con hein mais ça me ravive ! Enfermé dans certaines relations effilochées depuis trop longtemps, postures d'amitié. Imposture.

J'avais perdu cette habitude de constater que non, il n'y a décidément pas que moi qui déconne...et que les choses peuvent aussi être tellement simples, que ça file tout plein d'espoir !

:)

 

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